mardi 21 janvier 2025

Petite orthophoniste, les chansons, Sertão.

 Argyronète remonte tranquillement la côte brésilienne et va laisser au sud-sud-ouest les côtes du Sertão.

C'est l'occasion pour moi de me rappeler ma jeunesse folle d'il y a quinze ans. J'étais alors une jeune orthophoniste de 42 ans, et travaillais, le temps que mon planning de libérale s'emplisse, pour un service qui accueillait des patients en post-AVC. L'un d'eux était un monsieur encore jeune et très motivé. Il aimait la musique, et m'avait fait comprendre qu'il était un fan absolu de Bernard Lavilliers, dont il ne ratait les concerts sous aucun prétexte, et qu'il allait saluer systématiquement. Lavilliers l'appelait par son prénom. 

Lavilliers, c'était mon premier concert, il était en pleine forme et sautait sur les baffles en pantalon de cuir moulant, c'étaient les enceintes de mon père à fond dans le salon et le souvenir de chœurs de folie, à tue-tête, en famille.

C'est ainsi que deux à trois fois par semaine, nous avons terminé les séances de rééducation par des chansons, et revu tout le répertoire de Pouvoirs, O Gringo !, Voleur de Feu... J'ai appris plus tard que les membres du personnel venaient régulièrement coller leur oreille à la porte de la chambre quand nous nous mettions à chanter.
J'ai quitté petit à petit le service pour me consacrer exclusivement à mon cabinet, et le patient, qui avait bien progressé, est parti terminer sa rééducation en centre spécialisé. J'espère qu'il va bien et qu'il a pu retourner serrer la main de Bernard Lavilliers à la fin de ses concerts. Peut-être lui a-t-il raconté que ses chansons ont fait partie de sa prise en charge orthophonique, et ont sans doute soutenu son moral. Je lui lance cette bouteille à la mer : cher patient, notre travail commun est un de mes plus jolis souvenirs, que je célèbre en passant virtuellement au large du Sertão, où un soleil ivre de rage tourne dans le ciel et dévore le paysage de terre et de sel.

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