S'il est un accident qui laisse de marbre les possesseurs d'engins superlativement motorisés, ceux-là mêmes qui créent des vagues perverses et dépeuplent la mer de tout ce qui ne peut supporter leurs décibels (on aura compris quelle tendresse j'ai pour les semi-rigides et autres fusées thermiques), c'est bien le démâtage. Et pour cause. Le semi-rigide n'a aucune idée de ce que le vent pourrait lui apporter. Le vagabondage subi, à la va-comme-je-te-pousse, source intarissable d'énervement d'émerveillement, lui est étranger. Avec ces bestiaux-là, on est dans l'efficacité brute, qui se résume comme ceci :
L'absence de mât prive donc le propriétaire du bateau à moteur d'une bonne occasion de briller dans la société chaleureuse des pontons.
Alors que nous, nous pouvons toujours sortir notre démâtage du chapeau quand la conversation s'amollit.
L'histoire de notre démâtage est un feuilleton. Corse. A la source de tout accident de ce type, il y a de bonnes raisons, et il me serait difficile d'expliquer comment notre mât nous est tombé dessus sans faire état de tout ce qui a précédé cette chute. J'ai le temps, Argyronète est dans une pétole rare, carrément pas manœuvrable, et je me laisse donc bercer par les vagues et le chant des sirènes en attendant que ça se remette à souffler un tantinet. Je ne peux même pas bavarder avec mon copain pccl.fr, il boude depuis hier.
Je vais donc relater une fortune de mer corse. J'aime beaucoup la Corse, du moins ce que j'en connais, c'est-à-dire le bord de mer vu d'Oop-pop-sh'bam, de Rondinara à la tour d'Agnello, par l'ouest. Je connais peu les Corses, je ne peux donc pas en dire du mal. Quoique. Enfin, pas franchement. Mais je peux rester factuelle.
Ma première rencontre avec l'île de Beauté date de 2018. Nous y étions arrivés par le ferry, avec Oop-pop-sh'bam dans nos bagages. Pour les lecteurs flemmards ou oublieux, notre bateau a la taille d'une caravane et traverse les mers sur des ferrys, comme n'importe quelle twingo. Ma résistance à la houle ne nous permet pas de faire mieux, et surtout, le navire n'est pas équipé en hauturier, donc nous voguons en touristes, les jumelles à l'affût du souffle de quelque cétacé.
Cette année-là, nous avions embarqué tôt le matin, après une très courte nuit passée dans Oop-pop-sh'bam mais sur un parking d'autoroute, à nous faire dévorer par tout ce que le Var comptait de moustiques-tigres, et à cuver les spiritueux largement dispensés par un couple d'amis qui nous avaient accueillis la veille au soir sur leur terrasse méditerranéenne.
A l'arrivée, nous nous étions rendus sur le chantier de marine qui devait nous mettre à l'eau. On nous avait dit qu'il y avait du retard, et que nous pouvions préparer le bateau sans hâte. Il faisait 40°C à l'ombre, nous venions de subir un delta de température de 20°C en une journée, un mâtage supersonique d'Oop'pop'sh'bam sur l'aire de carénage goudronnée n'était donc pas au programme, tout allait pour le mieux.
Nous nous mettons à mâter, comme aurait plus l'écrire Mimi Perrin.
Et au bout de 30 minutes, nous voyons arriver le type qui nous avait dit (je vous laisse faire l'accent corse) de ne pas nous énerver, parce que nous ne serions pas à l'eau avant quatre heures, relax, mollo, on a le temps, mais là en version furie du timing, hop hop hop, on se dépêche, mise à l'eau dans une demi-heure. Et que ça saute.
Nous protestons, mais allez protester avec un Corse maître chez lui. Donc nous mettons le turbo, et Oop-pop-sh'bam est mis à l'eau (avec une espèce de diable géant hyper pas pratique) mâté, mais totalement vide, alors que d'ordinaire, nous l'emplissons de nos bagages et de son équipement histoire de ne pas avoir à trimballer tout le bazar sur les pontons.
Je laisse mon mari et mon fils se dépatouiller avec le bateau une fois l'opération menée (tambour battant) et je pars avec la remorque pour la garer chez des amis. Avec la manivelle de treuil encore accrochée à la remorque, manivelle qui finit sa vie quelque part sur la T21, ce dont nous nous rendrons compte à la sortie de l'eau.
A ce stade du récit, vous vous dites que je suis en train de vous gruger et que l'annonce d'une belle histoire de fortune de mer était un piège grossier. Mais je vous promets que non. Les éléments du désastre doivent se mettre en place petit à petit, inéluctablement, comme les pièces d'un puzzle, le battement d'aile d'un papillon dans la baie de San Francisco, les lubies du hasard.
Justement, le hasard, j'aime pas trop. Nous le subissons suffisamment lors de nos périples sur Oop-pop-sh'bam (voir le croquis plus haut). Donc, quand je peux maîtriser le moindre truc je ne m'en prive pas, et pour tout dire, je suis Lorraine d'ascendance germanique. J'avais donc prévu notre nuit au port Charles d'Ornano et réservé une place au ponton de longue date. Me voici donc de retour, la voiture pleine à craquer garée sur un parking louche, mon mari au téléphone m'expliquant que le moteur hors-bord d'Oop-pop-sh'bam a bien voulu démarrer pour une fois - point positif qui nous revigore le moral malgré notre état de déshydratation avancé -, et poussant la porte de la capitainerie du port Charles d'Ornano.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire