Les pays du Sud ont des effets physiologiques surprenants. Vous entrez dans une capitainerie climatisée en vous réjouissant de trouver un peu de fraîcheur après un mâtage sous le cagnard, et loin de vous réconforter, la climatisation déclenche une suée digne d'une championne du monde de la ménopause.
C'est donc à la limite du malaise que je m'efforce de sourire à la dame du bureau d'accueil, en déclinant mon identité et celle de mon bateau et en demandant quelle place nous devons prendre.
- Mais qu'est-ce que vous me racontez ? répond en substance la dame avec un air suspicieux de Corse maîtresse en sa capitainerie.
Je répète mon nom et lui précise que j'ai effectué une réservation pour la nuit, pour le voilier Oop-pop-sh'bam.
- Ça, ce n'est pas possible. On ne prend pas de réservation à l'avance, m'annonce froidement la personne dont je sens qu'elle risque de me faire prendre en grippe le peuple corse en son entier, même si pour l'instant, mon antipathie naissante n'est tournée que vers elle.
- Je vous assure que j'ai réservé, par téléphone, en donnant toutes mes coordonnées, et la personne que j'ai eue m'a dit qu'il n'y avait pas de problème, me défends-je.
- Puisque je vous dis qu'on ne prend pas de réservation à l'avance ! s'énerve mon interlocutrice.
Et là, me haussant par-dessus le comptoir, je vois sur son planning le nom d'Oop-pop-sh'bam, bien net, tracé au feutre orange, à la date du jour.
- Ben regardez sur votre cahier, là, c'est le nom de mon bateau et mon numéro de téléphone, donc vous voyez bien que j'ai appelé et que j'ai réservé !
Désarçonnée une seconde par l'uppercut, la dame réplique (crochet du droit) : "Ah non, mais ça c'est ma collègue qui l'a noté".
- Je me fiche de qui a pris cette réservation, tout ce que je sais c'est que ma nuit au port est prévue et que je veux une place.
- Nan, mais, elle ne savait pas qu'on ne pouvait pas faire de réservation.
- Ce n'est pas mon problème. Alors maintenant, vous m'indiquez où mon mari qui tourne dans le port depuis vingt minutes peut apponter ! susurré-je en contenant vaguement les décibels dans un élan de civilité.
- Ha ben non. Mais il y a une plage de l'autre côté, vous pouvez y mouiller.
- Et comment je charge et avitaille mon bateau, moi ?
- Il y a un Spar en face.
C'est au moment où je décide que je vais soit étrangler sa collègue, soit lui fracasser la tête sur son planning à peu près aussi utile qu'un ordinateur dans la Chine de 1991 (la seule que je connaisse), que le Capitaine du port fait son entrée, théâtrale, avec l'accent - qui pour moi en est un, mais je suppose que mon parler avait pour lui un goût d'exotisme.
- Qu'est-cE qui sE pAsse IcI ? Qu'est-cE qu'elle A, la pEtitE dAAAme ?
La sous-fifre et moi lui exposons le litige, et j'ajoute (la moutarde et "la petite dame" étant montées en mes naseaux à peu près aussi loin qu'un écouvillon pour test de recherche du Covid, qui en ce temps-là n'en est qu'à sa petite enfance, dans une éprouvette du laboratoire p4 de Wuhan, la Chine ayant drôlement progressé depuis 1991) que ça commence à bien faire, que je suis claquée et que leur organisation à la va-comme-je-te-pousse me court sérieusement sur le haricot, ça ne se passerait pas comme ça en Lorraine (ni a fortiori un peu plus au Nord-Est). Prends ça.
Bon, il faut avouer que je perds de plus en plus mes chances de me voir attribuer une place, mais à cet instant j'oublie tout hormis le fait que le Sud n'est pas fait pour moi et que j'ai face à moi deux punching-balls potentiels (à la condition que je me transforme en Hulk femelle).
Mais le Capitaine est débonnaire. Irritant, mais débonnaire. Et à peu près conscient que dans l'histoire, il y a des preuves orange sur blanc qu'une de ses secrétaires a fait une grosse boulette que l'autre refuse d'admettre pour diverses raisons qui vont de la psychorigidité à la volonté de couvrir ladite copine. Après m'avoir rappelé que je suis en vacances (on se calme, la petite dame ! (ma peau commence à verdir et mes muscles à saillir)), il se tourne vers l'obtuse et lui dit : "on va lui trouver une place, hein. Tenez, sur la panne F, il y a le Rainbow Warrior II qui ne va pas rentrer ce soir...".
Je quitte la Capitainerie, victorieuse mais prête à en découdre avec le prochain individu de moins d'un mètre soixante qui s'adressera à moi en me donnant du "la petite dame" (avec l'accent). Et suis accueillie à bras ouverts par mon mari, capitaine au long cours de retour au ponton de la zone de carénage après une visite forcée du port :
"Ben qu'est-ce que t'as foutu ?"
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