Bula passera en fin de semaine le détroit de Gibraltar (à moins que les pauses s'éternisent). Je reprends donc mon étude des orcininae, afin de préparer l'équipage à ce qui l'attend en ces eaux turbulentes.
Depuis des années, un groupe d'orques résidentes sévit en arrachant les safrans de voiliers croisant au large de Gibraltar. Les médias décrivent de manière systématique ce comportement en termes d'attaque. La France a peur.
On a à peu près tout lu sur l'origine d'une telle rage tournée vers d'innocentes embarcations. J'attribue une mention spéciale "Ignobel de l'éthologie" à l'hypothèse de la maman-orque traumatisée par la mort de son petit, percuté par un voilier, et désormais investie d'une mission exterminatrice la poussant à dézinguer les safrans, comportement qui a semblé suffisamment pertinent à ses compagnes pour qu'elles se mettent à délaisser les nécessités de la physiologie pour chasser du gouvernail et envoyer ces saloperies de bateaux à la baille, au lieu de courir après les thons rouges.
Mais pendant qu'émergeaient des analyses dignes de Stephen King, on pouvait lire les descriptions des occupants des voiliers concernés, qui, certes, avaient eu une belle peur, mais qui tous évoquaient des orques assez calmes. Je me rappelle le récit de naufragés racontant que les orques les avaient quittés en se lançant comme une balle les morceaux de safran. Personne ne semblait les écouter, ces gens, qui pourtant avaient été aux premières loges. En recoupant les témoignages, et sachant ce qu'est une attaque d'orque , m'est apparu petit à petit que les bestioles n'attaquaient rien du tout. Non seulement elles n'attaquaient pas, mais elles prenaient leur temps. Un prédateur hautement intelligent qui prend son temps pour faire autre chose que chercher sa pitance, socialiser, se reproduire ou s'occuper de son petit, ne fait qu'une chose, la même que vous quand vous vous situez au sommet de la pyramide de Maslow (1) : il s'occupe. Il joue. Comme tous les prédateurs, en détournant un comportement de chasse. Et comme c'est super drôle, il réitère encore et encore (rappelez-vous vos enfants s'obstinant à jeter du haut de leur chaise haute leur cuiller pleine de purée, et recommençant ad libitum), augmentant de ce fait les chances pour que ses potes orques repèrent son manège et le trouvent peut-être aussi marrant que lui. A ce stade du phénomène se mettent en route les neurones-miroirs, ou l'imitation sociale selon votre champ théorique, les uns étant au service de l'autre. Et tout le monde s'y met, dans la joie et la bonne humeur. La preuve est arrivée récemment : prenez le temps de regarder jubiler ces deux ados :
Le jour où Bula rencontrera les orques résidentes de Gibraltar, il ne devra qu'à un jeu de sales gosses le fait de couler entre un cargo et le rocher. C'est tout de même plus sympathique que de subir les assauts malfaisants d'une bestiole haineuse (mi-fa, mi-fa, mi-fa).
(1) Pour ceusses qui ignorent ce qu'est la pyramide de Maslow, la voici :
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