vendredi 31 octobre 2025

Une île, c'est (souvent) stable

 L'équipage de Bula va s'étoffer une fois le navire amarré à Tenerife. Je ne chanterai jamais assez les louanges des îles, ces providentielles miettes de croûte terrestre semées sur l'océan comme autant de salvateurs petits cailloux blancs (1).

Ma méconnaissance des Canaries est abyssale : je furète donc sur le web pour étancher ma soif de culture ; et là, je tombe sur ce blog, empli de ce genre d'images (Betty et Guillaume, je me permets ces deux emprunts en rendant à César ce qui lui appartient. Vous m'avez presque fait oublier mon obsession du Mont Viso) :

 

Il s'agit du parc national du Teide (traduction : de l'enfer). Moi, l'enfer, ça me plaît : des cailloux, des cailloux et encore des cailloux, c'est ma définition des vacances parfaites.

Le Teide est un volcan actif, qui culmine à 3718m, ce qui en fait le plus haut sommet d'Espagne (oui, c'est de la triche). Sa situation insulaire est à l'origine de ce merveilleux phénomène vespéral :

 

A son coucher, le soleil projette 
l'ombre du volcan sur la mer et l'atmosphère.

Mon bilan carbone va subir un accroissement coupable dans les prochaines années.

(1) Aux fâcheux qui remarqueront que les cailloux, ça va, mais les miettes, on sait ce que ça a donné chez Perrault, je rétorque que je suis la maîtresse omnipotente des métaphores de ce blog et que je fais ce que je veux des divagations du grand Charles.

jeudi 30 octobre 2025

Deuxième conseil de lecture.

La partie suisse de l'équipage de Bula a succombé il y a quelques jours aux creux de 4 mètres (d'article en article, les creux de cette fatale journée se creusent : faut-il y voir les effets de la licence poétique, d'une suspecte imprécision mnésique, ou du tafia ?). Le couple a décidé de se refaire une santé dans ses montagnes, ce que je comprends d'autant mieux que mes vacances de cette année ont pour une fois ressemblé à ceci :

Benvenuto en Mordor.
Les milieux hostiles le sont plus ou moins,
selon les capacités d'amarinage de l'individu. 

 Les heureux rescapés du coup de tabac, titulaires d'otolithes impeccables (et donc sans aucun mérite), adressent à leurs coéquipiers l'expression de leur respect. Je n'ai jamais eu l'impression que mes quasi-évaginations stomacales sur Oop-pop-sh'bam suscitaient le respect du Capitaine, mais j'aime à penser que le fait que je retourne en mer année après année malgré mon incapacité à tolérer un support mouvant lui inspire un chouïa de ce noble sentiment. Ce serait la moindre des choses, quand on sait à quel point peut être désespérant le fait de rendre tripes et boyaux sans même avoir la consolation du souvenir d'agapes responsables d'une solide veisalgie.

Les lecteurs profanes dans l'art de la navigation et de ses effets physiologiques trouveront dès les premières pages de l'excellent livre de Jean-Philippe Jaworski (œuvre qui n'a pour seul défaut que d'avoir été écrite par par un nancéien) une description si rigoureuse de la symptomatologie de la naupathie qu'elle mériterait de figurer dans un recueil de sémiologie clinique.

 

 

mardi 28 octobre 2025

L'annonce faite à mari

 Mon chéri, si ton quart au milieu des IMOCA te laisse le temps de jeter un œil sur ce blog, sache que tu es désormais l'heureux époux d'une apnéiste brevetée (et que je ne compte pas m'arrêter là).
Bises hypercapniques.

Bula, ou les virements 2.0

Le blog de Philippe m'apporte son lot de sympathiques photographies et m'offre l'occasion de me rincer l'œil (énamouré) du verso dénudé de mon dos argenté attitré, saisi par l'objectif au moment du plongeon. Séquence nostalgie. 

Plus loin, je tombe sur un extrait du mode d'emploi du catamaran : 

"Un virement se définit par : remonter le charriot de bôme, déconnecter le pilote automatique, hurler d'une voix ferme parer à virer, changer le cap franchement environ +/- 80°, relacher l'écoute pour laisser passer l'autovireur, régler le génois avec l'écoute de foc et remettre le pilote une fois le cap et la vitesse retrouvé."

Je salue l'effort didactique de l'auteur, ce paragraphe ayant valeur d'édification des foules de béotiens ignorants de la polysémie et pour qui un virement correspond à un mouvement bancaire, généralement en faveur de l'URSSAF. Toutefois, cette définition me laisse perplexe, tant elle s'écarte de mon connu (je rappelle que mon connu est un plan Harlé de 6m20, tout droit sorti du chantier Mallard en 1979). Il y a bien quelques analogies, comme le fait que dans l'affaire, mon mari quelqu'un hurle "paré à virer" (je note que personne ne répond "parééééé" sur le même ton : à mon avis, le skipper a sérieusement maté l'équipage), ou encore qu'il faille remonter le chariot de bôme et régler le génois avec l'écoute de foc, mais le reste est plus ou moins de la science-fiction, en particulier l'autovireur. Un autovireur ? On m'avait caché ça ? Et ça ressemble à quoi ? A un vistemboir électronique à burette mobile ou à une honnête poulie ? Et tout ce monde-là navigue au pilote, au près, alors qu'Oop-pop-sh'bam ne connaît à cette allure qu'un barreur en chair et en os, l'écoute de grand-voile entre les dents, à l'ancienne. 

Je ne sais s'il faut se réjouir de ces améliorations techniques, qui finiront par amollir le marin en instillant en lui une aversion pour l'effort et le dépassement de soi. C'est comme ça qu'on est passé de gabier d'empointure à titilleur d'enrouleur de génois. Et donc de ceci : 

Où l'on admire le métier des hommes de la mer
et leur stupéfiante capacité à évoluer en trois dimensions, chaussés de sabots, 
sans trop se casser la gueule.

à cela :

 

 Voilà, quoi. Même pas mal. 
Tout se perd.

Sur ce, je vous laisse méditer et je retourne dans ma grotte activer le feu, nourrir mon chihuamouth et faire de jolis dessins sur les parois. 

lundi 27 octobre 2025

Quand le monde ne tourne pas rond

Samedi dernier, mon mari m'a annoncé que Bula allait être contraint de rester à quai pendant neuf jours, en raison de la météo hostile et de la disparition des alizés et que dans ces conditions, je risquerais de fêter Noël toute seule, ce qui à la fois me laisse de glace et, en tant qu'être social, m'étonnerait fort.

Mais... la disparition des alizés ? Ces vents immuables dont la direction est liée à la rotation de la Terre, qui ne l'est pas moins (1) ? Les complotistes avaient-ils raison ? La Terre, non seulement serait plate mais de surcroît sa rotation aurait été perturbée par l'effet exclusif ou cumulatif des manipulations génétiques, du courroux divin, de l'attraction fatale des comètes Lemmon et Swan, ou encore des expériences étatsuniennes chinoises de géo-ingénierie ? Le phénomène méritait une enquête approfondie, ce qu'Internet m'a permis de faire en 127 secondes.

Depuis la mi-octobre, les dépressions se succèdent sur l'Atlantique nord. L'une d'entre elles a d'ailleurs pris la forme d'une tempête, bêtement nommée Benjamin au lieu de Thorgal. J'ai déjà parlé du sens de rotation anti-horaire des dépressions de l'hémisphère nord. Celles qui s'établissent un peu au-dessus du tropique du cancer génèrent donc dans leur partie méridionale des vents qui soufflent de l'ouest vers l'est, en s'opposant de ce fait aux mollassons alizés, et en empêchant momentanément nos quatre écumeurs de bars à tapas des mers de rejoindre Ténériffe et d'y récupérer leurs nouveaux équipiers dans les temps.

Mais comme vous êtes tous des lecteurs attentifs malgré mes digressions, vous savez que Bula a repris la mer, comme le prouvait ce dimanche l'œil de Sauron MarineTraffic : 

 
 Bula, c'est le joli rond en plein milieu
(et sous le gros tas coloré, c'est Gibraltar).

(1) Le lecteur avide d'une science exacte se référera à cet article qui aborde la question passionnante de la force de Coriolis.

dimanche 26 octobre 2025

Oups.

Bula est au ponton à Gibraltar, à l'abri des vents contraires et des orques facétieuses. 

Cela tombe bien, car nos cousines éloignées, retournées à la vie aquatique pendant que nous peinions à nous redresser avec tous les inconvénients que cela comporte (entre autres : libérer la main et donc nous obliger à travailler, ou augmenter le volume de notre tête et faire obliquer notre bassin, et donc nous faire enfanter dans la douleur - nous les femmes, bien sûr, parce qu'en général, les emmerdes, ça tombe sur qui, hein ?), sont assez actives en ce moment. Il semblerait qu'elles se promènent actuellement au large du Portugal et aient le ventre plein, les efforts de la communauté scientifique pour reconstituer les effectifs de thon rouge ayant été couronnés de succès. En conséquence, le groupe atteignant sans difficulté le sommet de la pyramide de Maslow, elles cherchent à s'occuper et font des conneries, comme n'importe quel gamin en goguette. Sauf qu'un enfant curieux qui expérimente peut vous redécorer la cuisine en testant les effets de l'immersion d'un bonbon Menthos dans le Coca (la mienne -  de cuisine - en a subi les conséquences, je peux donc vous assurer que le geyser attendu n'est pas une légende urbaine), ou cramer la maison.

Et c'est là que ça devient triste, puisque nous avons appris hier que cette famille et son voilier vient de faire les frais du désœuvrement des orques de Gibraltar et a vu le 10 octobre dernier ses rêves de traversée atlantique brisés par nos delphinidés de compétition (en fait, reportés, parce que l'événement ne semble avoir traumatisé personne et que tout ce monde a décidé de reprendre la mer illico avec un autre bateau). Je suis de tout cœur avec ces gens, dont le calme, l'optimisme (et le contrat d'assurance) suscitent l'admiration, et avec Tifaré, leur voilier désormais au fond de l'océan, mais de tout cœur aussi avec les orques, car je crains de plus en plus que cette histoire ne finisse pour de bon à la kalach.

P.S. : aux dernières nouvelles, Bula a pris la mer et s'apprête à passer le détroit. Hardi, les gars !

 

samedi 25 octobre 2025

Or, que faire pour t'éviter ? (*)

  Ces derniers jours, j'ai admiré sur MarineTraffic la route de Bula, qui n'avait rien à envier à nos pérégrinations sur Oop-pop-sh'bam. Je rappelle que notre Start 6 (marin et vaillant) a une longueur de 6m20 et des capacités hauturières limitées par un défaut d'insubmersibilité, un manque d'équipement et l'oreille interne de son équipière attitrée.

L'explication du cabotage de Bula ne réside pas dans les beautés de la Costa del Sol mais doit tout à nos copines cabotines les orques (1)

En effet, l'espèce est protégée. Comme le loup. En substance : ce n'est pas parce que la bête t'embête qu'il faut que tu la zigouilles. Il a donc fallu trouver des parades inoffensives à sa sale manie de couler des bateaux. Le problème, avec les patous, c'est qu'ils nagent difficilement et sont comestibles. Fort heureusement, le behaviorisme est arrivé à la rescousse des plaisanciers.

Le behaviorisme (en français : comportementalisme) est le fruit du vaste cerveau de Burrhus Frederic Skinner. Ce type avait de fascinant le prénom, le crâne (qui donne envie de faire un D.U. de phrénologie), ainsi que la propension à passer le rasoir d'Ockham sur n'importe quel comportement. Appliquer la logique skinnérienne à toutes les conduites de tous les êtres vivants mènerait à estimer que le comportement abscons de ces trois-là n'est absolument pas le fruit de leur culture et de leur riche expérience personnelle, mais est strictement lié à l'absorption d'alcool, ce qui, convenons-en, est un peu léger : 

Les trois en question, pour mémoire.

Les scientifiques ont en effet répondu à l'épineuse question des orques par la science du comportement (là où Winchester et Beretta auraient résolu le problème par la technologie) : un comportement indésirable s'éteint s'il n'est pas renforcé. Les adeptes de l'éducation positive (ou leurs victimes collatérales) comprendront immédiatement : il faut ignorer les conduites inopportunes. Mais dans le cas précis, ça paraît un peu juste, les orques ne trouvant de plaisir qu'à démonter les navires tout en restant totalement insensibles aux encouragements éventuels des plaisanciers (qui peuvent être des cris de détresse ou des menaces de tirs de kalachnikov (2), mais ça, les orques l'ignorent).

Il a donc été conseillé aux skippers de naviguer dans la zone des vingt mètres de profondeur, peu fréquentée par les orques, afin d'éviter de leur donner l'occasion de s'amuser tout en espérant qu'elles finiraient par oublier leur petit jeu. J'ai un doute, parce que ces animaux ont une belle longévité et une sacrée mémoire, mais ça se tente. C'est là que ça devient drôle, car cette zone (des vingt mètres -concentrez-vous) est également très prisée des aquaculteurs espagnols. Pour ceux qui ne savent pas à quoi ressemble une ferme aquacole en eau de mer, sachez qu'il y a des drapeaux qu'on repère généralement (et surtout si on a omis d'étudier la carte) quand on a le nez et l'étrave dessus, et entre les drapeaux (avant les poissons), des cordages et des filets, bref, le gros foutoir pour un voilier.

Bien sûr, Skinner avait plus d'un tour dans son sac. Il avait également théorisé l'art de la fessée le renforcement négatif, qui est beaucoup plus intuitif que son contraire, le renforcement positif (c'est pourquoi flanquer une claque à un gamin qui abuse de notre patience est un acte réflexe contre lequel luttent vainement avec une constance qui force le respect les adeptes de l'éducation positive). Les occupants de Bula (qui sont, vu leur âge, des boomers élevés à la torgnole et aux heures de colle, noyant leurs souvenirs dans le Porto et ignorant tout de la psychologie positive) ont donc prévu pour éloigner les orques un bidon de gasoil (???), des pétards, une chaine de chantier (???) et un émetteur à ultra-sons. 

Je m'insurge contre cette débauche de moyens (dont certains méritent une explication), alors que l'arme absolue a embarqué à Bonifacio : le couple infernal formé par la guitalélé et le larynx de mon mari.

(*) Quand j'aurai touché le fond, je remonterai. Je fais bien sûr allusion aux titres lamentables de mes articles.

(1) Il paraît que je me plante et que les orques, ce sera plus loin. Mon erreur n'altère en rien la pertinence de cet article vachement chiadé. 

(2) Mince, non, ça, c'est en Corse. 

jeudi 23 octobre 2025

Notre mère à toutes. Enfin, surtout la mienne (in Aranée Z., Misères et infortunes des femmes de marins, chapitre 2, éditions des Vaines Lettres, 623p)

 L'icône incontestée de la femme de marin est le fruit de l'imagination fertile d'Homère. J'ai en commun avec Pénélope (outre un époux prêt à mettre les voiles pendant deux décennies, le temps que je prenne ma retraite à 78 ans) une fascination pour l'art du tissage, qui se traduit dans mon cas par un amour phobique des araignées. Je pourrais aussi, comme elle, repousser des prétendants, mais force est de constater qu'ils ne se bousculent pas à ma porte (je laisse le lecteur libre d'imaginer si la phrase précédente témoigne de mon soulagement ou de ma déception).

 Ce tableau est de John William Waterhouse.
Bon, faut avouer, l'éphèbe couronné de laurier qui essaie de passer par ma fenêtre, 
il se prend deux claques et on n'en parle plus.  

Homère (ce vieux réac) a joué un sale tour aux femmes de marins. Cela fait presque trois mille ans que l'humanité se traîne le mythe de la compagne éplorée qui ne sait plus quoi faire pour affronter l'adversité en l'absence de son seigneur et maître. Même Apollinaire s'y est mis :

Près d'un tapis de haute lisse
Sa femme attendait qu'il revînt

L'époux royal de Sacontale
Las de vaincre se réjouit
Quand il la retrouva plus pâle
D'attente et d'amour yeux pâlis
Caressant sa gazelle mâle.

Guillaume, je t'aime au-delà du tombeau, mais là, mon féminisme universaliste me dit que tu as peut-être mérité ton passage à la prison de la Santé (1). Une gazelle mâle, on n'a pas idée. Et l'épouse transie qui se morfond pendant vingt ans, encore mieux. Alors que passé le tragique des adieux sur le quai, on le sait toutes : le chat parti, les souris bossent dansent. 

C'est en vertu de ce vieil adage et en réponse à la provocation que constitue l'illustration ci-dessous du journal de bord de Bula, que je décrète qu'un samedi après-midi occupé à étudier les effets de l'absence de ventilation sur un corps plongé dans un liquide, puis à fêter ça au bistrot avec les copains, vaut bien quelques tapas ingurgités pendant une prise de quart. Non mais.

 

(1) Qui n'accueille pas que des génies, comme ça n'a échappé à personne.
 


mercredi 22 octobre 2025

Notre père à tous. Enfin, surtout le leur.

 Le blog de Philippe (débrouillez-vous pour le trouver) me permet de suivre les pérégrinations de Bula, qui à l'heure où j'écris cabote au plus serré le long des côtes espagnoles afin d'éviter une rencontre avec les orques. Il m'offre également la possibilité de garder un œil sur la conduite de mon mari.

Et là, j'ai du souci à me faire. Parce que pendant que je turbine, y compris le weekend (le prochain étant consacré à l'acquisition de connaissances théoriques sur l'apnée - ce qui constitue un investissement sur l'avenir de nos navigations avec Oop-pop-sh'bam (pessimiste ? Moi ?)) -, l'Equipier se familiarise avec la culture locale, qui, si j'en crois les photos du blog, est essentiellement tournée vers le produit de la vigne et du travail des hommes.

Les terre-neuvas étaient moins à la fête, non plus que l'illustre prédécesseur de nos dilettantes croiseurs d'océan, qui d'une part n'avait pas la tête à raconter des blagues de Toto sur la Santa Maria et d'autre part devait se dire qu'il arriverait aux Indes sans dents ni cheveux ni ongles, étant donné l'inéluctabilité du scorbut en ces temps ignorants du réfrigérateur.

J'ai longtemps pensé que cet homme était un fou. Savoir que la Terre est ronde et que quitter un point A en suivant un parallèle mène forcément au même point A est une chose. Prendre la mer au petit bonheur avec l'idée qu'un jour où l'autre apparaîtront les Indes en est une autre. C'était sans compter la sagacité de Christophe, porteur comme par hasard du nom du saint patron des voyageurs, qui avait préparé sa traversée en tenant compte des données de la géographie de l'époque et de quelques approximations personnelles, effectuées à la louche avec un optimisme qui devait tout au Vinho Verde. Ainsi, Colomb estimait la distance entre le Portugal et les Indes à environ 2400 milles marins (4400 km), ce qui correspond à peu près à la distance effective entre le Cap Vert et la Guadeloupe. Il y en a qui sont vraiment nés coiffés. On connaît la suite et l'infernale bougeotte initiée par le Gênois, qui depuis le XVème siècle peuple les mers d'une faune qui n'a rien à y faire.

 

 

mardi 21 octobre 2025

Misères et infortunes des femmes de marins (1)

 Ma soirée de repassage hebdomadaire (1) a eu lieu devant un intéressant documentaire d'Arte.

Il y était question de la chasse aux sorcières qui a fait quelques dizaines de milliers de morts en Europe entre les XVème et XVIIème siècle. Ça ne rigolait pas trop, à l'époque, entre les soldats, les impôts, le créancier et la corvée (cultivez-vous, bordel !).

Mais que vient faire ce thème sur un blog consacré à la navigation dans ce qu'elle a de plus amateur ? Ben, il y a un lien (vous vous doutez bien que j'en aurais trouvé un quoi qu'il arrive).

La traque et les jugements de sorcières ont commencé en 1609, sous la direction (super éclairée) du juge Pierre de Rosteguy de Lancre, mandaté par Henri IV qui avait besoin de boucs émissaires en sa grande sagesse, dans la province basque du Labourd. 

Les basques sont un peuple à la langue étrange, venue du fond du paléolithique. Leurs coutumes, au XVIIème siècle, relevaient de rites païens dont existent encore des survivances de nos jours. Tout cela n'était pas très catholique. Surtout, les hommes de la province du Labourd avaient pris la fâcheuse habitude de quitter six mois par an leur région peu fertile pour aller pêcher la morue du côté de Terre-Neuve, laissant de ce fait leurs épouses, mères et filles s'occuper de la maisonnée, des bêtes, du potager et du repassage pour aller manier la turlutte qui n'est pas ce que vous croyez.

Pierre de Lancre, qui était un sacré psychopathe, est arrivé dans ce beau pays d'amazones libres et, en témoigne-t-il, assez girondes, et s'est un peu lâché en mode Mengele de la Renaissance. Game of Thrones, à côté des distractions du bon juge, c'est de la gnognotte. Et comme l'imitation sociale (surtout quand elle autorise à s'en payer une bonne tranche) est ce qui se fait de mieux pour permettre l'évolution des sociétés (rappelez-vous les orques de Gibraltar), les innovations législatives de Monseigneur de Lancre ont rapidement fait jurisprudence dans toute l'Europe, avec quelques variantes distrayantes selon les pays.

Mais au bout de six mois, les pères, fils et époux sont revenus de leur campagne de pêche et ont été mis devant le fait que leurs sorcières de femmes (mères ou filles) avaient expié leurs péchés par le feu, la roue, l'estrapade ou toute autre peine à la mesure de leur nature maléfique, les laissant libres de choisir une compagne bien sous tout rapport, de préférence bigote, modeste et soumise. Et là, au lieu de profiter de la chance qui leur était donnée, les gars se sont mis sérieusement en rogne, contraignant l'incompris Pierre de Lancre à déserter le pays pour aller juger ailleurs, ce dont il ne s'est pas privé.

Longtemps après, Voltaire a écrit que les sorcières avaient cessé d'exister quand on avait cessé de les brûler. Quant aux terre-neuvas, ils ont poursuivi leurs équipées maritimes jusqu'au début du XXème siècle, contribuant ainsi à la persistance d'une mythologie antique, celle des femmes de marins, dont j'ai rejoint le cercle le 14 octobre dernier (2) (je vous avais dit que je retomberais sur mes pattes !).

(1) Oui, mon chéri, en ton absence, je repasse ce que tu m'as laissé de linge, et même je lave le tas de cottes et gilets tout droit venus des étables, que tu as abandonnés dans le garage. 

(2) Mes aptitudes à la sorcellerie se limitent quant à elles au séchage de plantes, à l'élaboration de tisanes et au fait de nourrir mes enfants avec les mauvaises herbes du jardin. 

lundi 20 octobre 2025

Vétorthophonie cognitive

 Bula passera en fin de semaine le détroit de Gibraltar (à moins que les pauses s'éternisent). Je reprends donc mon étude des orcininae, afin de préparer l'équipage à ce qui l'attend en ces eaux turbulentes.

Depuis des années, un groupe d'orques résidentes sévit en arrachant les safrans de voiliers croisant au large de Gibraltar. Les médias décrivent de manière systématique ce comportement en termes d'attaque. La France a peur. 

On a à peu près tout lu sur l'origine d'une telle rage tournée vers d'innocentes embarcations. J'attribue une mention spéciale "Ignobel de l'éthologie" à l'hypothèse de la maman-orque traumatisée par la mort de son petit, percuté par un voilier, et désormais investie d'une mission exterminatrice la poussant à dézinguer les safrans, comportement qui a semblé suffisamment pertinent à ses compagnes pour qu'elles se mettent à délaisser les nécessités de la physiologie pour chasser du gouvernail et envoyer ces saloperies de bateaux à la baille, au lieu de courir après les thons rouges.

Mais pendant qu'émergeaient des analyses dignes de Stephen King, on pouvait lire les descriptions des occupants des voiliers concernés, qui, certes, avaient eu une belle peur, mais qui tous évoquaient des orques assez calmes. Je me rappelle le récit de naufragés racontant que les orques les avaient quittés en se lançant comme une balle les morceaux de safran. Personne ne semblait les écouter, ces gens, qui pourtant avaient été aux premières loges. En recoupant les témoignages, et sachant ce qu'est une attaque d'orque , m'est apparu petit à petit que les bestioles n'attaquaient rien du tout. Non seulement elles n'attaquaient pas, mais elles prenaient leur temps. Un prédateur hautement intelligent qui prend son temps pour faire autre chose que chercher sa pitance, socialiser, se reproduire ou s'occuper de son petit, ne fait qu'une chose, la même que vous quand vous vous situez au sommet de la pyramide de Maslow (1) : il s'occupe. Il joue. Comme tous les prédateurs, en détournant un comportement de chasse. Et comme c'est super drôle, il réitère encore et encore (rappelez-vous vos enfants s'obstinant à jeter du haut de leur chaise haute leur cuiller pleine de purée, et recommençant ad libitum), augmentant de ce fait les chances pour que ses potes orques repèrent son manège et le trouvent peut-être aussi marrant que lui. A ce stade du phénomène se mettent en route les neurones-miroirs, ou l'imitation sociale selon votre champ théorique, les uns étant au service de l'autre. Et tout le monde s'y met, dans la joie et la bonne humeur. La preuve est arrivée récemment : prenez le temps de regarder jubiler ces deux ados :

 

Le jour où Bula rencontrera les orques résidentes de Gibraltar, il ne devra qu'à un jeu de sales gosses le fait de couler entre un cargo et le rocher. C'est tout de même plus sympathique que de subir les assauts malfaisants d'une bestiole haineuse (mi-fa, mi-fa, mi-fa).

 (1) Pour ceusses qui ignorent ce qu'est la pyramide de Maslow, la voici :

 

 

dimanche 19 octobre 2025

Quand Carthagène, y'a pas de plaisir.

 Le post du 18 octobre rédigé par Philippe, co-équipier et voisin de chambrée de mon mari, indique que le skipper de Bula (qui a tout mon respect) a décidé d'aller au moteur jusqu'à Carthagène.

Mon premier réflexe de béotienne nourrie de récits historiques et maritimes fut de me dire "mazette, je ne suis pas près de revoir ma bouillotte nocturne". Pour moi, Carthagène, était une ville à perpette et pourrie de pirates assoiffés de rhum qu'ils buvaient le couteau entre les dents, en faisant fi de la douleur parce que quand on est un vrai mâle, la douleur, c'est de l'orgasme.

Dans mon ignorance géographique, Carthagène n'était pour moi que des Indes, et encore, je la situais à peu près au niveau des Antilles. D'où mon inquiétude à l'idée que s'il fallait la rallier au moteur, on était parti pour un tour du monde transitant par le canal de Panama et les Marquises, en tractant une remorque de carburant. Après vérification, j'ai appris à mon grand soulagement que la ville qui fut assiégée et pillée par Francis Drake a une homonyme bien plus ancienne qu'elle (puisqu'elle fut fondée en 227 avant J.C.), située sur la côte sud de l'Espagne, et disposant d'un port très bien abrité. Ouf  !

P.S. : l'humour ravageur du titre de cet article n'a échappé à personne. En l'absence de mon générateur de jeux de mots sur pattes, je fais de gros efforts pour en pondre toute seule de temps en temps. Soyez indulgents.

samedi 18 octobre 2025

Mi-fa, mi-fa, mi-fa, mi-faaaaaaah !

Depuis quelques mois, la grande interrogation de mon conjugal capitaine et actuel équipier de Bula concerne les dangers carnassiers susceptibles de croiser sa route nautique. Ainsi, le fait de savoir que son navire va passer par le détroit de Gibraltar a ravivé ses craintes concernant ce sympathique cétacé :

 

 Moi, j'aime bien les orques. J'aime les bêtes en général, mais j'avoue avoir une préférence pour les espèces et individus dotés de solides compétences cognitives. Je fonds pour les sangliers, les corvidés, les chèvres, les delphinidés, les psittacidés, les loups et mon chihuahua que voici, qui du haut de ses quelques centimètres et de ses quatre kilos travaille avec moi, apprend à toute vitesse, rassemble des vaches, piste du gibier, retrouve des gens et me sert de GPS quand je suis paumée en forêt. On ne se gausse pas, j'ai des témoins.

 

 Je ne surprendrai personne en évoquant la bande d'orques délinquantes qui sévit du côté de Gibraltar en envoyant par le fond les voiliers qui ont eu la malchance de les croiser alors qu'elles étaient un peu oisives. Les raisons de cet intéressant comportement ont été l'occasion, l'an dernier, d'une prise de bec conjugale, mon mari imbibé des dépêches de l'AFP (qu'il honnit en temps normal) restant sourd à mes arguments piagétiens. Il a fallu une nouvelle dépêche (de l'AFP, ce chantre du Mal) pour qu'il se range à mon analyse. Je vous raconte la suite plus tard, quand mes chevilles auront dégonflé.

 

 

vendredi 17 octobre 2025

Va, petite mouche

 Bula a pris la mer hier matin à 10h00. J'aurai régulièrement des nouvelles de l'équipée, puisque grâce au bienfaiteur de l'humanité au controversé Elon Musk et à sa mantille de satellites, Star Link permettra à Bula de communiquer de temps en temps avec nous autres terriens, même au milieu de l'Atlantique. Il est loin, le temps de Penduick VI et de son arrivée victorieuse et taiseuse en 1976 .

En attendant, je profite de la possibilité qui m'est donnée de zyeuter les fesses de mon mari en fâcheuse posture. Les copains (s'ils passent par ici) reconnaîtront la grâce toute acrophobique du Pitaine.

La photo mérite toutefois une explication. En effet, les marins des côtes atlantiques n'auront pas manqué de remarquer que le rail est positionné à l'avant de Bula. Pas de panique, c'est idiot normal : les ports de Méditerranée n'ont pas encore reconnu l'intérêt du catway. Les amarrages se font donc à la fainéante, bim, le nez sur le ponton. Après tu te débrouilles avec des gardes, et surtout avec tes capacités physiques et ta souplesse de soixantenaire plié en quatre dans le cockpit d'Oop-pop-sh'bam, pour descendre et monter de ton navire en t'accrochant à l'étai avec tes sacs de courses, tes nourrices et ton taux d'alcoolémie.

mercredi 15 octobre 2025

Les pays imbéciles où jamais il ne pleut

 Malgré tout le fiel que j'ai pu déverser ici sur la Corse (ou plutôt ses occupants), l'île présente la qualité de ne pas faire partie des contrées qui jamais miraculeusement ne reverdissent.

La pluie a en effet cueilli l'Equipier sur le tarmac de Figari. A l'heure où j'écris ces mots, le ciel est, par-dessus mon toit, très bleu et calme. Des grues y passent, ignorantes de ce qui les attend plus au sud, et porteuses d'une traduction approximative (grou-grou-grou) du conjugal bonjour que je les charge d'adresser à mon mari si elles s'égarent le long des côtes méditerranéennes.

mardi 14 octobre 2025

Dis quand reviendraaas-tu ?

 Me voilà femme de marin. Vertueuse (pas comme elle, qui a ses raisons il est vrai), puisque je sais quand l'Equipier rentrera.

En attendant (pompelup !), je vais pouvoir me coucher à pas d'heure, m'étaler dans le lit, et faire ce que je veux quand je veux, en mode enfants sauvages. Chouette.

Mais je vais beaucoup moins rigoler que quand mon chéri est là, puisqu'il emporte avec lui sa guitare naine, sa capacité à faire des jeux de mots que je suis seule à comprendre, ou presque, et son déhanché inégalable de quand on salsate dans le salon (enfants sauvages, je vous dis).

 

vendredi 3 octobre 2025

Conseil de lecture.

 

 Le contact est établi avec le co-équipier de mon mari, mon œil de Moscou sur Bula. Le monde moderne a tout de même du bon. Afin que chacun s'en assure, je suggère la lecture de la première page du Fil qui chante, l'un des meilleurs opus de Lucky Luke, datant de la période bénie des scénarios de René Goscinny. Ouvrage qui n'a rien à voir avec la photo ci-dessus, extraite de Rencontre du troisième type, insérée pour illustrer la notion de contact avec quelqu'un qu'on ne connaît pas. J'aurais pu mettre une photo du métro aux heures de pointe, aussi. 

Et flûte, c'est mon blog, personne ne le lit à part moi (saluez je salue ma lucidité), donc je fais ce que je veux. C'est quoi ces lecteurs inexistants qui se permettent de critiquer ?