Mon mari dort mal sur Bula. Il partage sa couche (ne le plaignez pas trop, on est loin de la couchette-cercueil : il bénéficie d'un lit en 140cm) avec Philippe, le rédacteur en chef du blog qui me permet, en l'absence du WhatsApp de notre fils, de suivre les pérégrinations de l'équipage, et ça cogne, ça tape, ça grince (le bateau, pas Philippe).
Chéri, ta santé me tient à cœur : je te gratifie aujourd'hui d'une berceuse.
A la une, à la deux, à la trois : Il était un petit navire.
Les comptines d'antan ont rarement été écrites pour les enfants. Qu'on se rappelle Sur le pont d'Avignon, description à peine voilée d'une époque pas très MeToo, les belles dames citées étant les prostituées michetonnant sur ledit pont. Penchons-nous un instant sur les paroles d'Il était un petit navire.
Il est question d'un bateau qui n'avait ja, ja, jamais navigué. Son premier voyage a lieu sur la Méditerranée, et le capitaine (un bleu) semble suffisamment inexpérimenté pour que son embarcation fasse des ronds dans l'eau pendant cinq à six semaines, au bout desquelles tout l'équipage crève de faim. En Méditerranée, voguer autant de semaines sans réussir à accoster quelque part, même à une époque antique, il fallait vraiment le faire, mais bon, soit. L'auteur s'est peut-être fourvoyé et a confondu l'Atlantique avec notre baignoire azurée, mais comme l'origine de la chanson se perd dans la nuit des cultures orales, on n'en saura rien, le texte ayant été réécrit en 1821.
Donc, l'équipage crie famine, et dans ce cas-là, il faut trouver de la victuaille fraîche. Qu'à cela ne tienne (pensez-vous, pauvres naïfs), qu'ils pêchent ! Ben non. On ne sait pas pourquoi : peut-être les matelots en ont-ils assez de manger du thon rouge, peut-être la mer est-elle trop hostile pour pêcher, bref, il doit bien y avoir une raison pour qu'ils décident de boulotter l'un d'entre eux, tiré à la courte paille.
C'est là que ça devient un peu litigieux, parce que comme par hasard, c'est le petit mousse (bien dodu et tendre) qui tire la plus courte paille. Coïncidence ?
Dans la version de mon enfance, la chanson finit par "et c'est lui qui, qui, qui sera mangé, ohé ohéééé !". Fin de l'histoire, au lit, les petits. Comme pour la version abrupte du Petit Chaperon rouge, écrite par Perrault et finissant par "le loup se jeta sur le petit Chaperon rouge et le mangea" (celle à laquelle j'ai eu droit et que j'ai évidemment transmise à mes enfants), le caractère horrifique de l'histoire a mené des auteurs soucieux du sommeil des bambins à édulcorer la conclusion, ici en introduisant une figure paternelle protectrice qui ouvre le ventre du loup et en extrait la grand-mère et la fillette (n'importe quoi), là en mettant en scène la compassion divine. Le mousse, pendant que le reste de l'équipage tergiverse sur la façon de l'accommoder, grimpe dans la mâture et prie la Sainte Vierge qui décide d'envoyer une armada d'exocets (pas les missiles, hein) sur le pont, ce qui sauve le gamin et prouve que c'était soit l'impossibilité de pêcher, soit la flemme absolue de l'équipage qui l'avait détourné du poisson en ces temps dépourvus de pêche industrielle, alors que la mer frétillait encore. Chouette.
De cette version prétendûment optimiste, je vous livre la magnifique version de Nolwenn Korbell. Ce que la chanteuse considère comme une chanson d'espoir est pour moi l'expression infiniment triste du déni de terreur d'un adolescent qui s'apprête à mourir.
Bonne nuit, mon amour.

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