Embarquer sur n'importe quel bateau revient à adopter un catalogue de superstitions aux produits aussi variés que ceux du catalogue Manufrance (oui, je suis vieille, j'ai connu le catalogue Manufrance).
Ainsi, avant ma première croisière aux côtés du Cap'tain of my heart, mon papa, navigateur passionné, m'avait prévenue (comme d'habitude. Mon père me prévenait de tous les dangers que je pouvais courir et n'oubliait jamais de m'en expliquer la parade, qui très souvent consistait à balancer un grand coup de pied dans les couilles du péril en question): sur un bateau, jamais, mais alors jamais, on ne prononce le mot "lapin".
Bon. D'accord, Papa, on évitera.
Mais pourquoi ? (Réponse paternelle, sans discussion possible : parce que).
Comme je suis une adepte inconditionnelle de l'éducation des masses, j'ai enquêté et découvert sur le sujet des lieux communs et d'autres trucs, beaucoup plus drôles.
Le musée national de la Marine nous apprend que du temps de la marine à voile, on embarquait pour les consommer toutes sortes d'animaux, les garder vivants étant le meilleur moyen de se passer de réfrigérateur (ça valait aussi pour les mousses, comme le rappelle à jamais une comptine fort pédagogique). Dans le lot, il y avait des lapins, qui supportent très bien (comme les mousses) les clapiers sombres et font d'honnêtes ragoûts. Parfois, un lapin plus malin que les autres parvenait à s'échapper, et comme ces bêtes-là doivent se faire les dents comme vous les ongles, parfaisait sa dentucure sur les espars, les cordages et l'étoupe de calfatage (il faut dire aussi qu'il crevait de faim et bouffait alors n'importe quoi). Bref, Lapinou pouvait être responsable de dégâts parfois préjudiciables à la survie de l'équipage comme de la sienne, mais allez expliquer ça à un lapin.
"Zygielle, tu parles d'une information, on aurait pu trouver ça tout seuls, nous, les lapins, on connaît", allez-vous protester (à raison). Mais l'explication de cette cuniculophobie environnementale ne s'arrête pas là. En effet, que serait un monde d'hommes sans un chouïa de misogynie placée où on l'attend le moins ? Figurez-vous que notre ami lagomorphe portait en ancien français le joli nom de "conin", terme désignant également l'intimité des femmes, ces diablesses, comme les marées soumises à la lune, qui en tant que figures maudites depuis le jardin d'Eden portent malheur à peu près partout, a fortiori sur un navire.
A toutes fins utiles, je rappelle à l'équipage de Bula que la législation moderne interdit de passer son équipière par-dessus bord à la moindre avarie.

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