Si la mer est le berceau nourricier d'organismes aquatiques (et/ou flottants, débrouillez-vous avec la terminologie, moi je renonce), chacun aura remarqué qu'elle est intensément survolée, parfois par des créatures inattendues.
Quelques exemples de créatures inattendues
La majeure partie des êtres peuplant l'infini sus-océanique est cependant constituée d'oiseaux marins, mouettes, goëlands, fous et ce voilier magnifique qu'est l'albatros.
Entre ces oiseaux et le marin se sont tissées des relations ambiguës, les premiers prenant la chose avec philosophie et une bonne dose d'opportunisme, comme on peut encore l'observer :
L'homme, en revanche, a bâti autour de l'oiseau de mer un solide réseau de croyances et de superstitions.
"Qui tue le goëland, la mort attend" : voilà, bien fait. Le goëland, animal psychopompe porteur de l'âme d'un noyé, est sacré, pas touche. Ça vaut aussi pour les mouettes, avec une particularité notable : la mouette prophétesse des Hébrides. Celle-ci, blanche comme l'écume, apparaît quelquefois pour se percher sur le mât d'un bateau (les semi-rigides ne risquent donc absolument rien : qu'ils continuent à nous les briser menu en toute impunité). Si elle demeure silencieuse, la pêche sera bonne et la mer clémente ; si elle l'ouvre et pousse trois cris, c'en est fait de ton navire, pauvre marin : prie ton macoui.
Le cormoran, noir comme l'enfer, annonce quant à lui la tempête. Au vu de la population de cormorans, je me demande pourquoi certains osent encore prendre la mer, mais je suis une incorrigible mécréante.
Et que penser de l'albatros aux ailes immenses, qui jamais ne se pose (ce qui est pure élucubration, l'animal étant comme vous et moi propriétaire terrien d'un nid avec concession à vie) ? Ha ben, c'est un peu pareil. Tant qu'il suit le navire et gratifie l'équipage du spectacle de son vol merveilleux, tout va bien. Mais qu'il prenne place sur les vergues ou se pose sur l'eau et le malheur s'abattra sur ceux qui, la minute précédente, voyaient en lui l'assurance d'une route sans encombre. Si l'on considère que les déplacements de l'albatros sont soumis aux caprices du vent, il est possible de tirer de son comportement les conclusions précédentes, mais une autre raison de la méfiance du marin envers l'albatros vient d'observations plus prosaïques, nombre de matelots (certainement ivres) tombés à l'eau y étant restés à la suite d'attaques de la part d'albatros (opportunistes, ai-je dit plus haut).
A propos de l'albatros, Samuel Taylor Coleridge nous a livré à la toute fin du XVIIIème siècle un thriller ornithologique digne d'Hitchcock, un des personnages principaux se faisant assassiner dès le début de l'histoire. Dans Le Dit du Vieux Marin, immense poème romantique de quelques 150 strophes, Coleridge met en scène un bateau emprisonné par les glaces, qui s'ouvrent dès lors que survient un albatros. L'équipage en fait son veau d'or, que le vieux marin, alors fringant, abat sur un coup de tête (et aussi d'un coup d'arbalète), pour une raison qui sera laissée à l'appréciation du lecteur. A partir de ce moment se déchaînent les éléments : afin qu'expie leur collègue inconséquent, les hommes d'équipage lui pendent alors l'albatros autour du cou. Comme ça :
Le Vieux Marin et son N.A.C., à Watchet (U.K.)
Bien sûr, tout va de mal en pis, au point que l'équipage entier périt, à l'exception du Vieux Marin, dont la vie a été gagnée aux dés par une morue surnaturelle. Alors que le bateau sombre, le malheureux est condamné à vivre, ce qui dans de telles circonstances est considéré comme étant pire que la mort (ce détail de l'histoire est très contestable et mériterait une sérieuse mise au point, mais Coleridge est injoignable depuis un bail). Le reste de son existence sera voué à Dieu, dans une errance prosélyte et littorale.
Pour les curieux, il existe une lecture de l'œuvre par Richard Burton (qui avait une sacrée belle voix, nom de Zeus !), illustrée par les gravures extraordinaires de Gustave Doré. Internet met aussi à votre disposition la version d'Iron Maiden. Sans rire.
A l'heure où Bula est en vue de Marie-Galante et de la fin de son joli voyage, j'offre à vos yeux mais surtout à vos oreilles une des seules strophes du Dit du Vieux Marin qui soit presque joyeuse. Elle chante l'adieu à la terre connue et l'effervescence du départ.
Mais tu sais, mon chéri, les retours, c'est bien aussi.
